À l’occasion de sa nomination historique en 2025 à la direction du Centre Chorégraphique National de Nantes, notre équipe est allée à la rencontre du chorégraphe burkinabè Salia Sanou, au Centre de Développement Chorégraphique La Termitière à Ouagadougou. Dans cette interview exclusive, il revient sur son parcours, ses ambitions et sa vision d’une danse ouverte, porteuse de dialogue entre l’Afrique, l’Europe et le monde.

I.C.F : Vous êtes le premier Burkinabè à diriger un Centre Chorégraphique National en France. Que représente pour vous cette nomination, à la fois sur le plan personnel et pour la danse africaine en général ?
Salia Sanou : C’est une très belle reconnaissance de tout le travail accompli avec des amis, la famille et de nombreux artistes et acteurs culturels. Je l’ai reçue comme un honneur : celui de pouvoir porter ce rêve au sein d’une grande institution de danse en Europe. Cette nomination vient récompenser tout l’engagement que nous portons pour les arts de la scène, en particulier la danse.
I.C.F : Quelle sera votre ligne artistique et vos priorités pour le CCN de Nantes ?
Salia Sanou : Le projet que je porte est à la fois artistique, économique et humanitaire. il est tourné vers la jeunesse de tous les continents. C’est un projet ancré sur le territoire de Nantes, mais aussi ouvert, au carrefour des dynamiques chorégraphiques actuelles à travers le monde. Pour moi, c’est également un projet qui se définit comme une plateforme de rayonnement international.
Ce projet questionnera ce qui se dessine aujourd’hui en matière de danse contemporaine, non seulement en Europe et en Afrique, mais aussi partout dans le monde.
Mon autre vision est liée à mon attachement au continent africain et à mon désir de faire le lien avec la jeunesse créative de ce continent, de l’océan Indien et des Outre-mers.
Par rapport à la ville de Nantes, qui a entrepris un travail exemplaire de mémoire. En tant que subsaharien, l’histoire de Nantes liée au commerce triangulaire entre en raisonnante avec mes origines et mes préoccupations artistiques. Une des raisons qui m’a poussé à porté mon rêve sur Nantes, en termes de création axée sur la jeunesse.

I.C.F : Envisagez-vous de créer des ponts entre le Burkina Faso et la France à travers ce nouveau rôle ?
Salia Sanou : Oui, c’est une évidence. J’aurai à cœur de créer des liens et de développer des partenariats solides. Ce qui est intéressant avec le centre de Nantes, c’est qu’il offre la possibilité d’accueillir des talents et de les accompagner.
I.C.F : Peut-on voir dans votre nomination un signe d’ouverture plus grande des institutions françaises à la diversité et aux artistes africains ?
Salia Sanou : De toute évidence, je dirais que la création artistique et culturelle en France est riche de sa diversité, et ma nomination vient confirmer que c’est un pays qui sait accueillir et accompagner les talents et les créateurs d’où qu’ils viennent.
Une nomination que je perçois aussi comme un trait d’union entre les cultures en France et celles du Burkina Faso, et plus largement entre l’Europe et l’Afrique.

I.C.F : Vous avez récemment présenté Garden Party (2024) et De Fugues… en Suites… (2024). Qu’est-ce qui a nourri ces créations et quels messages souhaitez-vous transmettre ?
Salia Sanou : Garden Party est un projet de performance qui s’est déroulé dans un lieu atypique le Hangar Y, lieu d’installation et d’exposition, construit à l’occasion des expositions universelles. Ce lieu m’a beaucoup inspiré et j’ai voulu questionner son histoire. J’ai donc fait appel à des sapeurs congolais et à des danseurs. C’était une sorte de défilé performatif, avec un public placé sur les quatre côtés de la scène, qui a fini par être embarqué lui aussi dans la danse. Garden Party est donc un projet ouvert sur le monde, sur l’art vestimentaire et sur la participation du grand public.
De Fugues… en Suites… est ma dernière création, avec six danseuses interprètes de nationalités et de parcours artistiques différents. Je suis parti de la musique classique occidentale de l’un des plus grands compositeur de tous les temps : Jean-Sébastien Bach.
Les fugues et les suites interpréter au piano solo comporte dans sa structure musicale des harmonies qui me rappellent des sons et sonorité du Balafon, du Ngoni et de la Kora qui ont bersé mon enfance.
Dans cette œuvre j’ai souhaité un dialogue des cultures musicales et une conversation entre les interprètes.
De nos jours, nous nous parlons, es ce que nous nous écoutons vraiment ?
À travers cette œuvre interpréter que par des danseuses, il s’agit de rendre un hommage à ma mère, mes tantes et sœurs, aux femmes.

I.C.F : Votre parcours est marqué par un va-et-vient constant entre la France et le Burkina Faso. Comment ces deux univers nourrissent-ils votre écriture chorégraphique ?
Salia Sanou : Les deux territoires qui sont fait de va-et-vient sont pour moi des sources d’inspiration. Comment ici nourrit l’ailleurs et vice-versa. Quand j’arrive ou que je traverse un territoire, j’apprends énormément, j’y laisse des traces, et ce territoire, à son tour, laisse des traces en moi.
I.C.F : Vous avez travaillé sur des thématiques sensibles comme l’exil (Du désir d’horizons), la mémoire (D’un rêve), ou encore la lutte (À nos combats). Comment choisissez-vous vos sujets de création ?
Salia Sanou : Les thèmes que j’aborde sont toujours liés à la place de l’humain dans la société. Je parle de sujets qui m’interpellent, qui m’engage en tant que citoyen d’abord. Malgré que ça soit des thématiques très graves parfois j’essaye toujours de les aborder avec poésie, de les traduire de façon à ne pas heurter. tout en faisant passer le message.
Par exemple, la situation sécuritaire au Sahel liée à l’extrémisme violent et au terrorisme a poussé beaucoup de population dans des camps de réfugiés et de déplacés. Je suis allé mener des ateliers de danse après de ces réfugiés pour leur permettre de reprendre confiance, de réparer des blessures et de garder l’espoir.
Cette aventure humaine m’a beaucoup apporté en tant que créateur.

I.C.F : Dans vos propos, vous insistez sur la danse comme vecteur de tolérance et de dialogue. Selon vous, l’art peut-il réellement influencer la société face aux crises actuelles (migrations, conflits, fractures sociales) ?
Salia Sanou : Oui, je le crois, La danse a une force particulière, car elle touche le corps, et tout ce qui touche le corps touche l’humain et aussi l’environnement. Je ne connais pas un peuple a travers le monde qui ne danse pas… Dès que le corps danse, il éloigne la peur de l’autre, il devient un corps résilient, porteur de dialogue, de tolérance et d’espoir. Je reste convaincu que c’est cela, la danse.
I.C.F : Vous êtes cofondateur du CDC La Termitière à Ouagadougou, premier centre chorégraphique d’Afrique de l’Ouest. Quelle est sa place aujourd’hui dans le paysage culturel africain et international ?
Salia Sanou : Le Centre de Développement Chorégraphique – La Termitière a fortement contribué à une structuration de la danse au Burkina Faso et en Afrique. En lien avec d’autres acteurs, le CDC est aujourd’hui un outil essentiel d’accompagnement pour la formation professionnelle des danseurs, la création et la diffusion des œuvres chorégraphiques.
À travers son festival Dialogue de corps le CDC a su se positionner comme un lieux de référence et de rayonnement international car les artistes d’autre pays et continents sont accueillis en résidence de création et en diffusons. Également les artistes formé au CDC sont invités ailleurs à travers le monde pour partager leur expérience et donner des spectacles.

I.C.F : Votre nomination en France est perçue comme une fierté nationale. Quel message adressez-vous au Burkina Faso et à ses jeunes artistes ?
Salia Sanou : Mon message aux jeunes, c’est de ne pas baisser la garde, de toujours garder l’espoir, d’être déterminé, d’être rigoureux et travailleurs. Ainsi de porter leurs rêves et de tout faire pour les réaliser.
I.C.F : Vous avez mené des projets dans des camps de réfugiés. Qu’avez-vous retenu de ces expériences humaines et artistiques ?
Salia Sanou : Les camps de réfugiés m’ont appris l’humanité. Les priorités dans un camp sont de manger, de s’habiller, de se soigner, d’aller à l’école… et certainement pas de danser ou de faire du théâtre. Il faut donc trouver une approche particulière pour attirer les jeunes et leur montrer que la danse peut être une forme d’espoir. Ces expériences m’ont appris à rester humble, vigilant, et à me rappeler que nous pouvons tous, un jour, devenir réfugiés.

I.C.F : La danse, pour vous, est-elle un outil de résistance, de mémoire ou d’espérance ?
Salia Sanou : Pour moi, la danse est tout cela à la fois : un outil d’expression, de vie, de mémoire et d’espoir. Quand je danse, j’aspire dans mon corps la tolérance, le combat de la vie et la résilience. Pour moi, c’est ce que signifie être interprète, danseur. Et je crois sincèrement que tout le monde devrait danser (rires).
I.C.F : Quels sont vos rêves ou ambitions pour les mois et les années à venir, autant sur le plan artistique que sur le plan institutionnel ?
Salia Sanou : Mon rêve est de continuer à proposer des projets culturels ouverts sur le monde, qui rassemblent. Depuis Nantes, je rêve de projets qui font union, qui créent du lien, qui incarnent l’humanité. Je veux tisser des partenariats artistiques forts, dynamiques et durables.
À Ouagadougou Je rêve un nouveau soufle pour le CDC – La Termitière et le Théâtre Populaire. Une réhabilitation du site et son environnement pour en faite une Cité des Arts et de la Culture ouverte au monde.
A Bobo-Dioulasso, je formule les mêmes rêves d’une Cité des arts et de la Culture, pour accueillir les chercheurs et les créateurs.

I.C.F : Si vous deviez transmettre un message aux jeunes danseurs du Burkina Faso et d’ailleurs, quel serait-il ?
Salia Sanou : Porter ses rêves, travailler, s’engager. Là où nos rêves nous conduisent, nos vies finissent par nous y emmener aussi.
Mon mot de fin est un souhait : un monde d’humanité, de dialogue et de paix.
Interview réalisée par Parfait Fabrice SAWADOGO
Journaliste Culturel – Infos Culture du Faso






Un bel article Fidel à ma vision de l’action artistique et culturelle,
Merci beaucoup pour ce temps d’échange et d’entretien.
Que tout cela est précieux ,cette profondeur, après avoir eu la chance de vous rencontrer à L’Agora de la danse à Montpellier.
Félicitations à vous monsieur SANOU ! Plein de succès dans vos activités et votre carrière !
Bravo Papa Salia Sanou.
En découvrant votre parcours, nous, jeunes danseurs, ressentons une profonde motivation à poursuivre nos rêves avec courage et détermination.
Comme le disait mon maître Longa Fo : « Il faut lire abondamment vos écrits, car ils nourrissent l’esprit et éveillent la conscience. »