sam 20 avril 2024

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Musique: A la découverte de Aristide Ouédraogo, un véritable féru du « rūdga »

Il y a urgence de mettre en lumière nos instruments de musique traditionnelle. C’est en tout cas ce que pense Aristide Ouédraogo, un fervent joueur du saxophone et du rūdga. Il est par ailleurs l’initiateur du projet « À la rencontre du rūdga », à travers lequel il ambitionne déconstruire les préjugés qui entourent cet instrument de musique, mais aussi le valoriser au profit des générations nouvelles. Lors d’un entretien qu’il nous a accordé, Aristide révient sur le bien-fondé de son projet, tout en retraçant ses débuts en tant qu’artiste instrumentiste.

Infos Culture du Faso: (ICF): Dites-nous qui est Aristide Ouédraogo pour nos lecteurs ?
Aristide Ouédraogo (AO): Je répond au nom de Aristide Ouédraogo. Je suis artiste-musicien, instrumentiste. Spécifiquement, je joue du rūdga et du saxophone. Je dispense également des cours sur ces deux instruments de musique à l’Institut National de Formation Artistique et Culturel (INAFAC) depuis maintenant deux ans.

ICF: Dites-nous comment commence votre histoire avec la musique, précisément les instruments ?
AO: La musique était comme quelque chose qui bouillonne à l’intérieur de soi et que l’on a envie d’extérioriser et à la fin l’occasion se présente. En effet, je suis d’un petit village situé dans la commune de Dapelogo (Burkina Faso). Et là, avant même que je prenne le chemin de l’école, j’avais déjà commencé la percussion. D’ailleurs, j’aimais tapé sur tout ce que je voyais en ce sens même que les femmes du village m’avaient surnommé « Gwem gwem » à cause du bruit. Ça été comme ça jusqu’à ce que je vienne à Ouagadougou pour aller à l’école. Arrivé, même déjà à l’église, j’aimais joué à une membraphone en forme carré couramment appelée « Goumbé ». Et en grandissant, j’ai voulu faire de la batterie, vu que c’est l’instrument moderne qui se rapprochait à ce que j’aimais déjà qu’est la percussion; mais malheureusement, j’ai pas eu l’occasion d’avoir une formation jusqu’à ce que je finisse mon parcours au lycée (Lycée mixte de Gounghin).
Après m’être inscrit à l’Université pour continuer mes études supérieures, je me suis rendu compte que les choses n’évoluaient pas comme je l’aurais souhaité au vu de nombreuses difficultés d’ordre académique. A un moment donné, j’ai senti le besoin de faire autre chose. Et ce qui me tenait à cœur à ce moment, c’était la musique. C’est comme ça que je suis rentré à l’INAFAC où j’ai passé cinq ans de formations artistiques. Aujourd’hui, je fais de nombreuses scènes et je donne également des cours de saxophone et de rūdga à l’INAFAC.

ICF: À l’INAFAC, vous y avez appris et enseignez maintenant le saxophone et le rūdga. C’est quoi donc le saxophone ?
AO: Juste pour préciser, avant mon entrée à l’INAFAC, j’avais commencé à jouer à la guitare. Et quand, j’ai intégré cette école de musique, c’était dans le but de me perfectionner en guitare. Et là, je rencontre le saxophone que je ne connaissais pas. J’y ai donc commencé avec un professeur nommé Paco Koté et par la même occasion, je menais des recherches pour en savoir plus sur cet instrument qui était quand même peu répandu et connu au Burkina Faso. Après, j’ai bénéficié d’un stage de perfectionnement en 2017 et en 2019, en Belgique. En effet, le saxophone est un instrument de musique d’origine belge qui date des années 1800 et fabriqué par un certain Adolphe Sax. Il détient une très belle sonorité qui est une véritable délice au sein de la musique.

ICF: C’est quoi sa particularité ?
AO: Chaque instrument a sa particularité. Et le saxophone a un timbre qui touche, vu qu’on le joue avec le souffle. C’est dire que l’émotion même est directe. Contrairement à la guitare ou la batterie, quand on joue au saxophone, il reste collé au corps, et le son est émis avec tout ce qui sort du corps. C’est encore plus sensible que d’autres instruments. Il peut être utilisé pour faire ce qu’on apelle couramment les « brasses », mais parfois comme on en a pas trop ici, c’est le piano qui fait le travail. Il peut être utilisé pour jouer des solos en lieu et place de la guitare. Il apporte surtout une très belle couleur à la musique.

ICF: Venons-en au rūdga, l’un de vos instruments de prédilection, qu’en est-il exactement ?
AO: Le rūdga, c’est un instrument de musique commun à notre terroir. Mais contrairement au saxophone qui est moderne, je ne pourrai pas dire avec exactement ses origines. Parce-qu’on n’a pas eu l’occasion d’écrire l’histoire sur nos instruments, et nos traditions de façon générale. C’est l’une des raisons pour lesquelles, je veux mener des recherches sur cet instrument. Mais pour ce que je sais, c’est un instrument qui est joué par plusieurs peuples (mossi, peulh, gourounsi,… Mali, Niger, Gambie et même dans le monde arabe). En plus d’avoir un rôle festif, le rūdga était aussi joué pour magnifier les dignitaires (chez le mogho Naaba, il en existe).

ICF: Vous le rencontrez lors de votre passage à l’INAFAC. Et depuis vous ne vous êtes plus quittés. C’est quoi la motivation derrière votre volonté d’apprendre à jouer cet instrument ?
AO: A ma deuxième année à l’INAFAC, il était question pour chaque étudiant, de choisir un instrument traditionnel en plus des instruments modernes. Et tout comme beaucoup d’autres, je ne connaissais pratiquement pas le rūdga, ni sa portée. Mais c’est en échangeant avec d’autres aînés que j’ai été motivé à choisir cet instrument. Pour dire vrai, j’ai voulu choisir le « Tama » qui est un tambour à aisselle et qui relève de la percussion que je faisais déjà dès ma tendre enfance. Avec les conseils, j’ai fini par choisir le rūdga. C’est comme ça que j’ai commencé l’apprentissage avec monsieur Mamadou Dao. Ça n’a pas été un début facile, mais au fur à mesure que j’avançais, l’instrument s’ouvrait à moi; j’arrivais à maîtriser beaucoup de choses, jusqu’à ce que je commence à jouer sur des scènes et dans des projets de musique, mais aussi à l’enseigner aujourd’hui.

ICF: Êtes-vous autant sollicité sur la scène musicale au Burkina Faso ?
AO: Je dirais oui. Mais il y a des projets où c’est moi-même qui propose le rūdga. En fait, c’est un instrument peu connu dans la chaîne musicale donc, il arrive qu’on me sollicite pour jouer le saxophone et une fois là-bas, je leur propose le rūdga. Mais Dieu faisant, ils découvrent les merveilles de l’instrument et finissent par accepter cela dans le projet. Ma toute première scène, c’était avec l’artiste Kalam et j’ai participé à des projets dans des studios. Par exemple, j’ai été contacté par Amzy pour jouer le saxophone dans un titre de son album « Ma mission » en featuring avec Kayawoto et Young Ced. Arrivé, je leur ai proposé le rūdga qui pourrait laisser un son plus original. Nous avons essayé et ils ont aimé et à terme, c’est même devenu l’intro. Ça été la même chose dans des œuvres de beaucoup d’autres artistes, comme dans le titre « Tinbo » du tout dernier album de Floby. Il y a également Zedess, Zidass, etc. Et sur scène, c’est avec Zabda et le Mogho band que je joue beaucoup actuellement. C’est une manière pour moi de sensibiliser sur le rôle important que peut avoir cet instrument de notre terroir dans la conception de la musique moderne.

ICF: Alors, que faut-il donc faire pour rendre la place qu’il faut au rūdga ?
AO: Il faut d’abord commencer par l’inclure dans des projets musicaux comme je le fais deja afin qu’il résonne plus dans les oreilles des gens, vu qu’il est beaucoup absent dans le milieu. Le reste viendra.

ICF: Votre lien avec cet instrument vous a amené à mettre en place un projet dénommé « A la rencontre du rūdga ». De quoi s’agit-il exactement ?
AO: Il s’agit pour de moi faire connaître le rūdga, le valoriser au profit des générations nouvelles. Mais au tout début, sa mise en place répond à une question que je me posais incessamment : celle de savoir pourquoi nos chemins se sont croisés ? Aussi, parce que quand j’ai commencé à jouer, beaucoup disaient que c’est un instrument d’aveugles, de mendiants et qu’un jeune ne devrait pas y jouer. Et j’ai remarqué que tous ces préjugés ont créé une peur autour de l’instrument. Et plus on a peur de le toucher, plus on a peur de jouer et plus on le déclasse, puis on le laisse dans les musées. Ayant déjà joué et découvert beaucoup de choses sur ça, je me suis dit qu’il y a peut-être quelque chose que je pourrais faire allant dans le sens de le polir de toutes sont choses négatives qu’on lui colle. C’est comme si le rūdga voulait que je parle pour lui, que je sois son ambassadeur.

ICF: Parlez-nous concrètement du contenu de ce projet.
AO: « A la rencontre du rūdga », c’est un gros projet qui sera mené en trois grandes étapes. La première concerne la phase de l’initiation et la découverte. Il s’agit d’initier beaucoup de personnes à l’instrument, leur faire toucher, savoir ce qu’il peut produire comme sonorités. Leur faire comprendre que nous devons le dompter (montrer aux gens qu’on peut jouer des gammes majeures ou mineures, ou autres). Leur faire découvrir l’instrument, c’est-à-dire déconstruire tous ces préjugés qui lui gravitent autour. En un mot, leur faire comprendre que c’est un instrument comme ceux modernes (guitare, batterie, etc). Et cette phase a déjà débuté avec la session de formation que j’ai tenu à l’endroit des artistes (conteurs, comédiens, musiciens, etc.) il y a de cela un mois. Cette instrument peut perdurer et même s’étendre à l’endroit des écoles et autres structures.

La deuxième phase concerne la recherche et l’écriture. Là, c’est moi en tant que pratiquant et enseignant du rūdga, je dois effectuer des recherches sur les origines, comprendre sa conception, et même tous les préjugés qui se disent autour. Ensuite l’écriture consistera à écrire une méthode dans un document. En fait, j’ai eu la grâce d’avoir une formation moderne, donc il s’agit d’apprendre à jouer à l’instrument en passant par des bases modernes, en lisant des partitions. Là déjà, j’écris des morceaux sur partitions qu’on peut regarder et jouer au rūdga. Cela prendra également en compte des enregistrements audios pour ceux qui ne savent pas lire.

La troisième phase concerne un enregistrement pour le rūdga, c’est-à-dire des chansons déjà connues ou pas connues. Des chansons dans lesquelles le rūdga sera la pièce maîtresse, des mélodies entièrement composées par le biais du rūdga mais bien-sûr avec de petits mélanges d’autres instruments pour harmoniser.

ICF: Qu’est-ce qu’il faut réellement pour que ce projet atteigne le but escompté ?
AO: Je dirais tout simplement de l’accompagnement. Par exemple, la simple phase où j’ai initié la formation, j’ai dû moi-même acheté des rūdga pour que les apprenants puissent apprendre. S’il y a des écoles ou des structures soucieuses de la préservation et la valorisation du rūdga, qui ont déjà des instruments pour elles-mêmes, je pourrais passer dispenser des cours, le tout dans ma phase initiation. Elles peuvent aller loin en inscrivant son apprentissage dans le programme scolaire. Ça peut être une meilleure solution pour que l’initiation touche une grande partie de personnes. Nous devons également travailler à répéter les sessions de formations.

Pour la recherche, il me faut vraiment les moyens. A ce propos, s’il y a des bonnes volontés, je reste vraiment ouvert afin d’avoir la possibilité d’aller vers des personnes ressources à l’intérieur du pays, et même hors du pays. L’écriture des morceaux est déjà très avancée. Cependant, la phase d’enregistrement demande également beaucoup de moyens en ce sens qu’il faut aller en studio, appeler d’autres compétences, etc… Pour dire vrai, la réalisation de ce projet tel que conçu permettra de découvrir beaucoup de choses sur cet instrument, une des valeurs sûres de notre patrimoine musical.

ICF: Quel est votre mot de fin ?
AO: Je tiens à dire qu’il faudrait que nous travaillons à plus mettre en lumière les instruments de musique traditionnelle, travailler à plus les moderniser afin de pouvoir aller au concert des nations. En fait, tout ce que nous voyons comme instruments dits modernes ont été tout comme les nôtres, fabriqués par des personnes pour apprendre des choses, des méthodes. Juste dire qu’ils ont abattu un travail colossal sur ces instruments pour sortir de belles sonorités que nous écoutons aujourd’hui. C’est ce que nous devrions faire avec nos instruments traditionnels en ce sens qu’ils définissent notre identité, l’identité africaine. J’invite donc ceux qui ne connaissent pas le rūdga, à chercher à découvrir les richesses qu’il regorge. Quant à nous, sûrement nous aurons d’autres sessions de formations. Enfin, merci à vous de m’avoir convié afin que je puisse parler de ma carrière et de mes projets. Merci infiniment.

 

Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO

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