Alors que la Semaine Nationale de la Culture (SNC) est censée refléter toute la richesse artistique du Burkina Faso, un art majeur peine toujours à trouver sa place dans cette célébration nationale : la photographie. Entre oubli institutionnel, manque de reconnaissance et absence de cadre d’expression, les photographes burkinabè lancent un cri de cœur à l’État et aux organisateurs de la SNC.

Au Burkina Faso, la photographie continue d’évoluer dans l’ombre des grandes disciplines artistiques. Bien que des photographes talentueux foisonnent sur l’ensemble du territoire qu’ils soient portraitistes, reporters, artistes ou documentaristes la discipline reste absente des grands rendez-vous culturels comme la SNC, pourtant vitrine officielle des arts burkinabè. Lors des éditions successives, aucun concours de photographie, aucune exposition nationale structurée, ni même un espace dédié ne permet aux photographes de présenter leur travail au public et aux décideurs.
Pourtant, la photographie n’est pas qu’un art de l’instant. Elle capte l’histoire, sublime les traditions, immortalise le patrimoine, et raconte le vécu des populations. En la négligeant, c’est un pan entier de notre culture qui se trouve ignoré, voire mis en péril.
Toutes les disciplines… sauf la photographie
La Semaine Nationale de la Culture 2025, à travers ses règlements intérieurs, distingue clairement plusieurs grandes catégories d’expression artistique :
Catégorie A : Arts du spectacle (musique, danse, théâtre)
Catégorie B : Arts plastiques (peinture, sculpture, artisanat d’art)
Catégorie C : Littérature (en français et en langues nationales)
Catégorie D : Arts culinaires
La photographie n’est mentionnée dans aucune de ces catégories. Ce silence institutionnel illustre un véritable désintérêt pour un art pourtant central dans les sociétés contemporaines. En 2025 encore, les photographes ne bénéficient d’aucun concours officiel, ni d’un statut artistique reconnu à la SNC, alors même que leur production participe activement à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine culturel burkinabè.

Un secteur vital, mais oublié des politiques culturelles
Dans un monde où l’image est devenue un langage universel, le rôle du photographe dépasse la simple esthétique. Il devient témoin de son époque, archiviste de la mémoire collective, et parfois même militant. Ses œuvres portent les traces de nos luttes, de nos traditions et de nos mutations sociales.
Et pourtant, la photographie ne dispose d’aucun statut clair dans les politiques culturelles nationales, aucun programme public d’appui ou de valorisation, et très peu de formations spécialisées. Les rares écoles ou modules existants sont souvent privés, inaccessibles ou peu outillés. Plusieurs photographes professionnels, malgré leur talent et leur contribution évidente à la promotion du pays, peinent à vivre décemment de leur art. Faute de soutien étatique ou de reconnaissance formelle, beaucoup se tournent vers le secteur événementiel privé ou vers des projets internationaux pour survivre.
Des efforts individuels, une reconnaissance à l’international
Malgré ce contexte difficile, les photographes burkinabè brillent à l’étranger. Plusieurs d’entre eux participent régulièrement à de grands rendez-vous internationaux de la photographie, que ce soit à travers des expositions, des résidences, des compétitions ou des festivals spécialisés. Ces efforts leur permettent de hisser haut les couleurs du Burkina Faso, d’établir des collaborations, de renforcer leurs compétences, et de contribuer à l’image du pays à l’échelle mondiale.
Sur le plan local également, certains photographes initient des activités de promotion culturelle, organisent des expositions privées, des ateliers de formation ou des projets de sensibilisation dans les quartiers, malgré un manque criant de financement. Ces initiatives, bien que limitées, témoignent de la vitalité et de la résilience d’un secteur oublié par les institutions.

Un cri de cœur des acteurs de l’image
Face à ce constat d’exclusion, les photographes burkinabè lancent un appel solennel au Ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme :
« Nous ne voulons plus être perçus comme de simples techniciens de l’image. Nous sommes des artistes, des créateurs, des passeurs de mémoire. Nous demandons une place dans les politiques culturelles, dans les concours nationaux, et à la SNC. »
Ils appellent également à :
La création d’un concours national de photographie intégré à la SNC
L’aménagement de galeries d’expositions officielles permanentes ou temporaires
La reconnaissance du statut d’artiste photographe dans les textes culturels
Le soutien à la formation et à la professionnalisation des jeunes photographes
La mise en réseau des photographes à l’échelle nationale et régionale

Une urgence culturelle et identitaire
Dans un contexte régional où des pays comme le Mali, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ont su valoriser la photographie à travers des festivals dédiés, des prix prestigieux ou des centres spécialisés, le Burkina Faso ne peut se permettre de rester en retrait. Il en va de la diversité de notre paysage artistique, mais aussi de notre capacité à documenter nous-mêmes notre histoire, nos luttes, nos beautés et nos identités multiples.
Intégrer la photographie à la SNC, c’est choisir de reconnaître pleinement un art qui parle, un art qui pense, un art qui construit. C’est faire place à ceux qui, derrière leurs objectifs, capturent l’âme de notre société. À l’heure où la culture est un levier de développement et de cohésion sociale, le Burkina Faso ne doit plus tourner le dos à ses photographes. Il est temps de leur offrir un espace, une reconnaissance, et un avenir digne de leur talent.
Parfait Fabrice SAWADOGO
Journaliste Culturel – Infos Culture du Tourisme