ven 6 juin 2025

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Les Parentés à Plaisanterie : L’humour, ciment de la cohésion sociale

Au Burkina Faso, les parentés à plaisanterie appelées aussi « cousinage à plaisanterie » sont bien plus qu’un simple jeu de mots ou de moqueries. Ce mécanisme ancestral de régulation sociale, profondément ancré dans les traditions ouest-africaines, rappelle combien l’humour peut être un instrument puissant de paix, de tolérance et de fraternité.

Dans plusieurs sociétés d’Afrique de l’Ouest, et particulièrement au Burkina Faso, ce système de moquerie ritualisée constitue une véritable institution. Il repose sur des liens historiques ou mythologiques entre groupes ethniques, familles ou clans, avec pour règle d’or : le droit, voire le devoir, de se taquiner. Ce jeu social, fondé sur le respect, la dérision et la complicité, permet de désamorcer les tensions, de tisser des relations sincères et de cultiver une fraternité intercommunautaire.

Une origine empreinte d’histoire et de négociation

Une des histoires les plus racontées sur les origines de ces alliances nous vient de la princesse et honorable Juliette Kongo. Elle évoque la conquête du territoire moaga, jadis occupé par les Samo. Selon la tradition orale, c’est grâce à une mission pacifique que la conquête a été possible. Le roi Naba Oubri aurait envoyé sa fille en mission de prospection auprès des Samo. Celle-ci gagna la confiance du chef samo, dont elle devint l’épouse. À son retour chez les siens, elle était enceinte du chef samo. Par ce lien d’alliance, la conquête fut menée sans bain de sang : c’est la négociation et la parenté symbolique qui ont prévalu. Ce récit éclaire la profondeur historique de la parenté à plaisanterie entre Mossi et Samo une relation née dans l’intimité des alliances, transformée aujourd’hui en joutes verbales joyeuses et rituelles.

Le rire comme outil de paix

Un jour à la gare de Ouagadougou, un chauffeur de car peulh se retrouve dans une dispute houleuse avec un passager bobo qui l’accuse de faire trop d’arrêts en chemin. L’atmosphère est tendue, les mots s’enveniment, les regards s’aiguisent. Soudain, un vieil homme s’approche, lève la main et lance avec malice : « Hé vous deux là, vous oubliez que vous êtes cousins ! Le Bobo est pressé parce qu’il a un rendez-vous chez le forgeron. Le Peulh, lui, veut juste s’assurer que ses bœufs n’ont pas pris le car avant lui ! »

Les rires fusent. La tension se dissipe. Les deux hommes échangent une accolade à la manière des « cousins ennemis », puis regagnent leurs places, sourire aux lèvres. Ce jour-là, l’humour a fait tomber la colère. Cette scène, apparemment anodine, illustre la force désarmante de la parenté à plaisanterie.

Un héritage vivant et multiple

Les alliances à plaisanterie existent entre plusieurs groupes : Mossi et Samo, Peulh et Bobo, Gourmantché et Yadsé, Bissa et Gourounsi, Dioula et Sénoufo, entre autres. Chaque relation repose sur des codes partagés, des surnoms moqueurs, des anecdotes historiques transmises de génération en génération. On s’accuse à la blague de paresse, de vol de bétail, d’ingratitude ou de voracité, mais toujours dans une atmosphère de fraternité.

Au-delà du folklore, ce système joue un rôle de médiation : en cas de différend, une simple moquerie peut suffire à rétablir la paix. L’humour devient aussi un langage éducatif. Les anciens l’utilisent pour corriger les plus jeunes sans les humilier. À travers les récits, ce sont des pactes de non-agression, des engagements historiques et des gestes de solidarité qui sont perpétués.

Une tradition toujours actuelle

Même en ville, la parenté à plaisanterie reste vivante. Mariages, funérailles, émissions télévisées, publications sur les réseaux sociaux… ces joutes verbales sont omniprésentes. Elles détendent les atmosphères tendues, suscitent le rire, et rappellent à chacun que le lien social se cultive par la parole et la mémoire.

Des figures publiques l’utilisent pour appeler à l’unité, prônant un Burkina Faso plus solidaire dans un contexte marqué par les tensions identitaires et sécuritaires. En cela, ces traditions orales sont un patrimoine immatériel d’une rare pertinence.

Et si on en tirait des leçons pour aujourd’hui ?

Rire ensemble, c’est déjà bâtir la paix. Et si nous prenions exemple sur ces alliances pour repenser nos rapports sociaux en famille, au travail, dans la société, et même en politique ? Comme le dit si bien un proverbe moaga :
« Quand les peuples rient ensemble, ils ne se battent pas. »

Parfait Fabrice SAWADOGO

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