Haut lieu de l’histoire politique et spirituelle de l’Afrique de l’Ouest, le royaume du Gulmu s’est affirmé à travers les siècles comme une entité culturelle et politique majeure. Porté par une royauté sacralisée et un système de gouvernance unique, il continue de fasciner par sa richesse symbolique, son organisation sociale hiérarchisée et son rayonnement qui dépasse les frontières du Burkina Faso.

Le Gulmu est une aire culturelle historique centrée à l’Est du Burkina Faso, aujourd’hui éclatée entre les régions de l’Est, du Centre-Est et du Sahel. Il déborde également sur la région de la Savane au nord du Togo, le nord-est du Ghana (chez les Bi-Moba), le nord du Bénin (vallée de la Pendjari), et atteint les rives du fleuve Niger. Tous ces peuples, liés par la langue gulmancema, des croyances ancestrales et des mythes partagés, reconnaissent l’autorité morale du Nungubado, le souverain spirituel et politique du royaume, installé à Fada N’Gourma.

Une mosaïque ethnique fondatrice
Le peuple Gourmantché est issu d’un vaste brassage. Aux groupes autochtones tels que les Tindamba, Natama, Ouoba, Berba ou Gnongnosés sont venues s’ajouter des migrations successives : Dogons, Kurumba, Haoussa, Moaga. Ces influences multiples ont façonné une société composite, dotée d’une forte identité culturelle.
Un moment charnière survient avec l’arrivée des Bemba (ou Burcimba) entre les XVe et XVIe siècles, descendants du conquérant Diaba Lompo, venus de Kujabongou, aux confins de l’actuel Togo, Bénin et Burkina. Ces conquérants imposèrent leur autorité mais adoptèrent la langue locale, un rare exemple d’assimilation linguistique inverse dans l’histoire ouest-africaine.

Labidiero, figure mythique et symbole du pouvoir sacré
Parmi les souverains du Gulmu, le roi Labidiero (1380–1395) demeure une figure centrale. Décrit comme un enfant prodige doté de pouvoirs surnaturels, il devint un conquérant redouté, menant ses armées jusqu’au pays Dogon et jusqu’au fleuve Niger. Il scella un pacte avec l’Empire Songhaï, à l’origine d’une parenté à plaisanterie durable entre les deux peuples.
La légende raconte qu’en défiant Dieu en tirant une flèche vers le ciel, Labidiero provoqua sa propre fin. Mortellement blessé par sa propre flèche, il ordonna à son lieutenant Otadano de l’achever. Ce geste fonde un rituel encore vivace : tout roi du Gulmu est accompagné d’un ministre-bourreau jusqu’à sa mort, garant de l’ordre mystique de la succession, sous l’autorité du chancelier Tiedano.

Une royauté sacrée, encadrée et non héréditaire
Dans le Gulmu, le Bali (pouvoir royal) n’est ni héréditaire ni absolu. Il se transmet à des candidats désignés par des signes mystiques (li bayuali) et validés par un collège de cinq ministres appelé Kombali nikpelba. Ce contre-pouvoir veille à l’équilibre du système, empêchant toute dérive autoritaire. En cas de disparition du souverain, un intérimaire Tiedano assure la transition et coordonne le processus de désignation et d’intronisation du nouveau roi.
Cette royauté encadrée, où le sacré prime sur la filiation directe, révèle une forme de gouvernance originale dans la sous-région. Le roi n’est pas un homme seul, mais l’incarnation d’une fonction contrôlée et ritualisée.

Une société hiérarchisée mais sans castes
Contrairement à certaines sociétés voisines, les Gulmanceba ne connaissent pas de système de castes. La société est structurée en Buolu (équivalents des Buudu chez les Mossé), des lignages définis par un nom de famille, des scarifications, et des interdits. Trois grandes classes sociales coexistent : les Burkinba (nobles), les Talmu (hommes libres), et les Tikôra (descendants d’anciens esclaves). Cette organisation garantit un ordre social clair tout en permettant certaines mobilités.
Héritage contemporain d’un royaume transfrontalier
Le Gulmu n’est pas une relique du passé. Ses valeurs, ses rites et son influence se perpétuent dans les institutions traditionnelles actuelles. Le roi Simadoali (1911–1953) a su incarner cette continuité au moment des grands bouleversements liés à la colonisation. Aujourd’hui encore, les communautés Gourmantché, disséminées dans cinq pays, se reconnaissent dans cette histoire commune, au-delà des frontières imposées par l’histoire coloniale.

Une sagesse politique à redécouvrir
Alors que l’Afrique contemporaine s’efforce de renouer avec ses racines culturelles pour construire des modèles de gouvernance et d’identité enracinés, le Gulmu apparaît comme un repère précieux. Royaume transfrontalier aux institutions raffinées, ancré dans une spiritualité vivante et une mémoire collective toujours partagée, il incarne la force d’un héritage africain qui a su traverser les siècles. Dans ses rites, sa langue et son sens de l’équilibre politique, le Gulmu continue d’inspirer. Il nous rappelle que l’histoire des peuples ne se mesure pas seulement à leurs conquêtes, mais aussi à la sagesse de leurs structures sociales, à la densité de leurs croyances, et à la capacité de leurs descendants à en préserver l’essence.
Parfait Fabrice SAWADOGO
Journaliste Culturel – Infos Culture du Faso