Au nord-est du Burkina Faso, nichée entre Kaya et Dori, la ville de Bani intrigue et émerveille. Haut lieu spirituel, elle abrite un ensemble unique de sept mosquées en banco, alignées selon la silhouette d’un homme en prière. Portées par la vision d’El Hadj Mohamadou Ibn Hamadou, ces mosquées incarnent à la fois une foi profonde, une histoire mystique et un patrimoine culturel à préserver.

À 60 kilomètres de Dori, dans la région du Sahel burkinabè, Bani est bien plus qu’une localité sahélienne. C’est une cité spirituelle, un lieu de pèlerinage silencieux, où le sacré épouse la terre crue et la foi façonne les contours d’une architecture unique. Elle doit sa renommée à ses sept mosquées en banco, construites sans aucun plan architectural moderne, mais selon une vision précise : celle d’un homme qui rêvait d’unir l’humain et le divin dans la poussière du Sahel.

L’histoire de Bani commence avec un enfant de sept ans : El Hadj Mohamadou Ibn Hamadou. Il affirme avoir vu en rêve une mosquée qu’il construirait un jour. Ses parents, d’abord sceptiques, n’imaginent pas que ce rêve d’enfant deviendra la pierre angulaire d’un patrimoine spirituel national. Très tôt, le jeune Mohamadou montre un lien fort avec la religion. À 15 ans, il prêche, jeûne, réconcilie, et selon certains témoignages, prédit même l’avenir. À l’écart du monde, il passe des années dans la brousse pour méditer et se rapprocher de Dieu. Deux fois, il entreprend le pèlerinage à La Mecque à pied.

Une œuvre née de la foi, sans école ni plan
À 40 ans, il revient s’installer définitivement à Bani. Sans avoir fréquenté d’école coranique, il enseigne le Coran à des marabouts, imams et fidèles venus du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Il insiste : « Je ne suis pas un Cheik, ni un féticheur, ni un imam, ni un marabout, encore moins un prophète, mais je suis un envoyé de Dieu. » C’est dans cette foi absolue qu’il entreprend en 1979, avec ses disciples, la construction de la Grande Mosquée de Bani.

Sans plan écrit, mais avec une vision intérieure claire, il dirige les travaux de l’édifice principal, achevé en 1980. Longue de 34 mètres, large de 25 mètres, haute de 4,5 mètres, la mosquée repose sur 100 piliers un pour chacun des 100 noms de Dieu selon la tradition islamique. Elle comprend une salle de prière et une tour dédiée à l’imam. Deux minarets de 17 mètres encadrent un mur d’enceinte de 31 mètres, le tout réalisé en banco et bois. Ce bâtiment majestueux, sobre mais imposant, trône au cœur du village.

Le corps en prière : une disposition mystique
Mais ce qui rend Bani encore plus fascinante, c’est la symbolique de l’ensemble. Autour de la Grande Mosquée, six autres édifices religieux ont été construits selon une disposition singulière : vus du ciel, ils dessinent la silhouette d’un homme en prière. Chaque mosquée correspond à une partie du corps :
La Mosquée du coucher du soleil (la tête) : 11 m x 7 m, minaret de 17 m.
La Mosquée de la bénédiction (épaule gauche) : 9 m x 4 m, minaret de 10 m.
La Mosquée du sacrifice (bras gauche) : 8 m x 6 m.
La Mosquée du pardon (bras droit) : 13 m x 10 m, minaret de 11 m.
La Mosquée de la joie (épaule droite) : 10 m x 6 m, minaret de 11 m.
La Mosquée du lever du soleil (pied gauche) : 13 m x 10 m, minaret de 11 m.
Cette organisation, à la fois spirituelle et architecturale, suggère que chaque mosquée est un organe vivant d’un corps sacré, prosterné vers Dieu. Elle témoigne d’une foi habitée et d’une imagination mystique rare, donnant à Bani une aura unique dans le monde islamique.

Un héritage à vivre, pas seulement à visiter
La Grande Mosquée de Bani, avec son banco aux teintes chaudes et ses bois sculptés, impose par sa simplicité et sa profondeur. Elle ne contient ni ornements luxueux ni technologies modernes. Pourtant, son atmosphère vous enveloppe d’un silence sacré, propice à la méditation. Le sol est en terre battue, mais stable. Le regard s’élève vers les piliers, et l’âme s’incline.
Au-delà de leur fonction religieuse, ces édifices fascinent aussi les chercheurs, les touristes et les passionnés de patrimoine. Car ici, l’architecture sahélienne atteint une expression spirituelle rare : chaque pilier, chaque mur, chaque angle a une signification. À Bani, les formes simples deviennent symboles, les matériaux bruts deviennent poésie.

Le centre du monde ? Une foi inébranlable
Certains habitants de Bani affirment que leur village est le centre du monde. Des documents circulent, affirmant même que le véritable prophète serait né ici, et que la parole divine partie de Bani doit être diffusée aux quatre coins de la planète. Vraie croyance ou tradition orale amplifiée ? Peu importe. Ce qui est certain, c’est que Bani dépasse le cadre rationnel. Ici, la spiritualité ne se discute pas : elle se vit, elle se ressent.

Préserver Bani, c’est préserver une âme
Aujourd’hui, face aux défis climatiques, à l’érosion du patrimoine et à la modernité galopante, Bani appelle à être connue, protégée et mise en valeur. Ce n’est pas qu’un site touristique, mais un témoignage vivant de l’ingéniosité humaine inspirée par la foi. Chaque pierre, chaque souffle de vent, chaque prière murmurée entre les murs de banco rappellent que le sacré peut jaillir de la terre la plus aride.
Pour le Burkina Faso, Bani est un symbole fort : celui d’une spiritualité enracinée, d’un génie populaire, d’un patrimoine qui n’a rien à envier aux grandes cathédrales ou aux sites sacrés du monde. Pour le visiteur, c’est un lieu de ressourcement, d’émerveillement, et surtout, de silence habité.

À Bani, le rêve d’un enfant est devenu une réalité divine. Sept mosquées, unies comme les membres d’un corps en prière, dessinent un chef-d’œuvre à ciel ouvert. Dans le calme du Sahel, ce village continue de transmettre un message universel : la foi, lorsqu’elle est sincère et persévérante, peut élever des monuments éternels.
Parfait Fabrice SAWADOGO